Jules Garnier

Grandir


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Bon bah comment j'vais faire moi... Ça commence à dev'nir la plaie les pauses casse-croûte depuis qu'Jeannot est parti... Les vieux y puent l'homme et ça m'détruit les narines.

Y sont là avec tous leurs poils, leur toux, leur sueur et leurs blagues qui sentent aussi fort qu'eux... Puis j'en peux plus qu'y m'appellent morveux.



J'suis moins morveux qu'eux d'abord, j'suis pas là à cracher mes poumons d'mineur fumeur et enfumé moi... 'Fin bon, y sont ben gentils des fois. Mais Jeannot...

Jeannot c'est un fichu copain. Tellement que j's'rais pas contre qu'il épouse une de mes quat' sœurs, 'fin p't'ête pas Claudine quand même... Jeannot il a d'ces idées des fois...


C'est comme le coup qu'il a fait y'a quelques mois. Y'avait c't'anglais tout blond et frisé qu'était v'nu à la mine, c'était trop rigolo d'l'entend' parler. Y s'baladait dans l'fond avec le géomètre, alors forcément, tous les vieux s'sont mis à l'zyeuter.

C'est qu'des étrangers y z'en ont pas vu beaucoup... Les vieux, y z'étaient tous en calcif, ben crasseux. L'anglais lui, y s'prom'nait dans son p'tit costume, la trogne toute blanche et proprette. Ça f'sait un méchant tableau !



Mais c'qui nous a fumé avec Jeannot, c'est quand il arrivait pas à dire « charbon ».
- "Comment vous dites ceci ?" qu'il demandait au géomètre.

Le géomètre c'est un excité, alors y s'est énervé comme quoi c'est pas normal de pas savoir dire charbon, qu'les étrangers ça va bien deux minutes mais qu'ça fatigue vite. Mais l'anglais il a pas trop fait attention, y préférait essayer d'dire « charbon ».

- "Carbone, no, Tharboon, no, Charboon, damned, Charbone, Jesus Christ can't say it…"



Morceau de houille ou charbon de terre

CHARBON


Morceau de houille ou charbon de terre

La houille est à l'origine d'un tourbillon économique, technologique et intellectuel qui attire à lui les capitaux, les inventions et la main d’œuvre. La région industrielle de Saint-Étienne en est le centre car c'est alors le premier bassin d'extraction de la houille en France. La région produit des millions de tonnes de charbon et d'objets manufacturés, des centaines de brevets d'invention qui s'exportent du territoire grâce au chemin de fer.
Le développement de ce bassin industriel dans une France essentiellement rurale est exemplaire de la première Révolution Industrielle, le charbon de terre est en le moteur.


Puis à un moment, y s'est approché d'Jeannot, il lui a demandé à voir sa rave. J'crois qu'il en avait jamais vu des comme ça d'lampes de mineurs.

Il la tripatouillait dans tous les sens. La rave de Jeannot, elle a un p'tit coq sur le bouchon du réservoir, ça f'sait beaucoup sourire l'anglais.



Lampe à huile stéphanoise, dite "rave"

RAVE


Lampe à huile stéphanoise, dite "rave", TEZENAT FILS, vers 1840,
Couriot musée de la mine, inv. 2008.0.13

La « rave », ou crézieu, est une lampe à l’huile à flamme nue qui permet d’éclairer la galerie de mine à quelques pas. Ces lampes sont très utilisées dans les mines du territoire jusqu’au milieu du 19e siècle. Plusieurs fabricants de « clincaille » stéphanois fabriquent ces lampes, avec un grand soin apporté au décor. Dès 1816, Davy, un chimiste anglais, invente la lampe dite « de sécurité » en plaçant un grillage autour de la flamme. Les lampes ne cessent d’être améliorées tout au long du siècle pour prévenir les accidents de grisou.

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La rave de Jeannot vient de s'éteindre. Allumez-la à nouveau.

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Cliquez sur la rave de Jeannot

Cliquez sur la mèche de la rave pour l'allumer

Cliquez sur la rave pour la rendre à Jeannot

MERCI!


La lampe de Jeannot est de nouveau allumée.


Quand il lui a rendu, il a dit :
- "Il est très joli ton lampe avec une petite poule, très français."
Jeannot ça lui a pas trop plu c't'histoire de poule. Alors au casse-croûte ce jour là, y m'a dit qu'il avait un truc à m'montrer.

Il a farfouillé dans sa poche et il en a sorti le plus joli couteau qu'j'ai jamais vu, un couteau qui s'plie, en forme de sabot.
- "Whaaaa mais où qu'tu l'as trouvé c'lui là ?"

Et Jeannot y m'a dit que quand l'anglais racontait ses bêtises de poule, il en avait profité pour lui chaparder ce p'tit bijou. Il a rajouté qu'ça lui f'ra ben les pieds à Charboon.



Puis on a becqueté. Mais moi, en dessert, j'avais d'la brioche, pac'que le p'tit mitron du quartier il a trouvé qu'ça pour convainc' ma sœur Fanchette d'êt' son amoureuse. Il lui donne d'la brioche à béquer quasi tous les jours.

Jeannot il est plutôt gourmand, y m'a dit que si j'lui donnais ma brioche, y m'faisait cadeau du couteau. J'me suis pas fait prier.



Avoir un truc de l'anglais c'est êt' un peu élégant. Parce que soyons clairs, j'veux pas en dev'nir moi, un d'ces vieux en calcif. A choisir, j'voudrais êt' comme le Toine. Ce type il est extra.

D'abord c'est l'champion d'la sarbacane, mais en plus il est drôlement intelligent. Y sait plein d'trucs sur plein d'choses et moi ça m'fascine. J'regrette pas d'avoir eu l'courage d'lui parler une fois qu'y s’entraînait.



Depuis, y m'apprend des trucs. Le Toine il est armurier, mais y dit qu'les vraies armes dans la vie c'est d'savoir lire, écrire et calculer, qu'avec ça on peut changer son monde.

Moi j'voyais pas trop où y voulait en v'nir, mais y'a d'ça quelques s'maines, y m'a donné un papier en m'disant :
- "Lis !"
- "E-co-le des mi-nes de Saint-E-tienne cours de la classe ouvrier non ouvrière."

- "Alors t'en dis quoi p'tit ?"
J'y comprenais rien. Ça a du s'voir, car le Toine il s'est mis à m'expliquer :



Placard d'ouverture des cours de la classe ouvrière à l'École des mines

ÉCOLE DES MINES


Placard d'ouverture des cours de la classe ouvrière à l'École des mines
ANONYME, 1844
Coll. Association Iguerande

L’État est le moteur d'un essor lent mais constant de la scolarisation qui, associée à la régulation du travail des enfants, jette les bases de l'enseignement.
Jusqu'au milieu du 19e siècle, la transmission des savoirs professionnels se fait par l'apprentissage ou le compagnonnage. Mais l'industrialisation va influencer l'enseignement de l'instruction technique sur Saint-Étienne. L’école des mineurs, qui deviendra l’École des mines, est créée en 1816. Elle se révèle une pépinière d’ingénieurs au service des exploitations minières ou de l’industrie métallurgique. Dans les années 1840, plusieurs cours sont créés spécifiquement pour les ouvriers : École des mines, cours municipaux gratuits de chimie et de mécanique industrielle...



- "L'École des mines c'est une sacrée école, ça forme tes patrons les ingénieurs. Bref, là c't'école elle propose des cours pour des mineurs gosses de mineurs comme toi, pour qu'y deviennent aut'chose, quequ'chose de moins malade et crève la faim."

- "Mais j'sais pas faire aut' chose moi, pis papa y dit qu'la mine ça fait vivre la famille, qu'c'est un truc d'hommes ben solides, qu'c'est un truc de père et d'fils."
- "Julot mon b'let, le fond d'la mine ça lui a pas pris sa jambe à ton père ?"

C'est p'tete pour des hommes solides ta mine mais ça les rend ben fragiles. Y t'ont l'air solides toi, ces bonhommes qui voient l'soleil qu'le dimanche ? C'est plus des hommes ça, c'est des chauve-souris."


Il avait raison le Toine. J'sais pas pourquoi j'm'étais braqué comme ça. J'avais pris peur j'crois. C'est qu'les vieux en calcif et l'fond d'la mine j'connais rien d'aut', en fait, avant d'lire ses bouquins au Toine,

j'savais pas qu'y pouvait y avoir quequ'chose d'aut'... Après ça m'a plus laché son truc. J'y pensais tellement à ces cours qu'j'écoutais plus rien de s'qu'on m'disait. J'ai pas entendu quand l'vieil André y s'est mis à tousser comme un malade.

Pourtant j'étais là, avec Jeannot, à ramasser les débris d'charbon pendant qu'le vieux piquait. Puis il a arrêté d'tousser et il est tombé comme une mouche.



Jeannot y s'est mis à hurler, on pouvait plus l’arrêter. Alors on les a r'monté tous les deux, Jeannot et l'vieil André. A la fin d'l'a journée on a compris qu'c'était fini pour le vieux, qu'on l'reverrait plus jamais.

Et pour Jeannot, on lui a dit qu'y pourrait r'mett' les pieds à la mine que quand il aura arrêté d'êt' cinglé.



Alors maint'nant j'mange tout seul et ça m'embête bien, pa'ce que ça fait trois jours que j'veux lui dire au Jeannot : dans ma maison y'a un trésor ! J'ai découvert ça avant d'dormir.

J'tripatouillait l'joli couteau en pensant à l'École des mines, quand j'aperçois en face, un p'tit bout d'mur qui s'effrite. J'commence à gratter un peu, pis j'vois qu'ça brille. Alors avec le couteau j'gratte encore plus fort.

AIDER JULES


Jules a aperçu un objet brillant dans un interstice du mur. Aidez-le pour découvrir ce que c'est.

AIDER JULES À GRATTER LE MUR


Faites glisser le couteau vers le bas

MERCI !


Vous avez trouvé une pièce !


Et qu'est-ce-qu'il m'tombe dans les mains ? Une grosse pièce ! J'y croyais pas! Dès l'lendemain, j'lai montrée au Toine. J'voulais savoir si j'étais riche. Y m'a expliqué qu'c'était une pièce d'la Revolution et qu'elle était toute en argent.

La Révolution j'connais un peu, le Toine il en cause souvent. Pis grand-mère m'en avait parlé une fois qu'elle racontait sa vie d'quand elle était p'tite. J'crois qu'c'est un truc bien mais j'en suis pas sûr.

En fait, j'crois qu'c'est un truc bien qu'a fait beaucoup d'mal.



Pièce d'argent de 30 sols révolutionnaires

PIÈCE D'ARGENT


Pièce d'argent de 30 sols révolutionnaires
1792
Saint-Etienne, musée d’Art et d’Industrie, inv. 2009.0.1219

La banque de France est une société aux capitaux privés, de sa fondation en 1800 jusqu'en 1948. En 1803 elle devient la seule banque à pouvoir émettre des billets de banque mais il faut attendre le début du 20e siècle pour que leur usage se généralise !
En 1832 le conseil municipal de Saint-Étienne décide la création d'une caisse d'épargne destinée à conserver les économies des ouvriers. Ouverte en 1833, le premier million déposé est atteint en 1839. A leurs débuts les caisses d’épargne ne sont pas des banques. Elles participent à l'éducation des ouvriers à l'économie.
Jusque-là l’argent circule essentiellement sous forme de pièces de monnaie. Le risque de vol est grand et il est fréquent de cacher son épargne dans les murs ou le sol de son domicile.



Avec ma pièce, j'voulais ach'ter un cadeau à ma grande sœur Claudine, parc'que c'est bientôt la saint Claude et qu'elle mérite bien une myriade de merveilles.

Mais le Toine y m'a dit qu'j'étais fou, que c'te pièce fallait pas qu'j'y touche et qu'elle m'servira pour quand j's'rai à l'École des mines et qu'y faudra m'ach'ter un beau costume.


Alors j'ai creusé un p'tit trou dans l'mur d'la maison. J'y ai enfilé ma pièce, pis j'ai tout r'bouché. En f'sant ça, j'me suis dit qu'il a du faire exactement la même chose, le type qu'à enfoui sa pièce pendant la Révolution.



Comme j'avais plus rien pour le cadeau d'Claudine, j'me suis décidé à échanger mon couteau au marchand. Le marchand, il avait un joli collier avec la croix d'Jésus faite en clous à ferrer les ch'vaux. Claudine elle adore les animaux et elle prie beaucoup,

alors ça m'faisait tirer peine de pas lui offrir. Pis Claudine elle dit toujours qu'êt' généreux ça rend plus beau, qu'y faut faire comme le Bon Samaritain et aimer son prochain, même qu'c'est Jésus qui l'a dit !



P'tete que j'suis pas très beau alors, pa'ce que la pièce en argent, en attendant, j'me la suis bien gardée pour moi tout seul... P'tete que j'pourrais aider papa avec... J'ai jamais bien compris c'qu'y lui est arrivé à papa... Grand-mère elle m'a expliqué

qu'à la mine du Bois Monzil où y travaillait, y'a eu une inondation, qu'à cause de ça, y'a des copains à papa qui ont cané et que lui il y a laissé sa guibolle. Grand-mère elle dit aussi qu'le vrai truc qu'il a perdu là bas c'est sa langue.

C'est vrai qu'papa j'lai toujours connu avec la jambe en moins et la bouche bien fermée. Sa bouche elle lui sert qu'à manger et tousser. Y cause pas, y rit pas... à part l'premier jour où j'suis parti à la mine et la nuit quand y dort.



L’inondation de la mine du Bois-Monzil (Villars) le 2 février 1831

BOIS-MONZIL


L’inondation de la mine du Bois-Monzil (Villars) le 2 février 1831
Joannès JOURJON, 1831
Saint-Étienne, MAI ancienne collection du musée du vieux Saint-Étienne, inv. 2018.20.19

Le 2 février 1831 la "carrière de houille" du Bois-Monzil se remplit d'eau. 5 mineurs parviennent à fuir, 8 sont noyés et 8 autres se réfugient dans une galerie parallèle. Après plusieurs jours sous terre, grâce à des ouvriers mineurs, des élèves de l'École des mines, des ingénieurs et 280 hommes de la Garde Nationale, ces hommes sont sauvés.
Les inondations sont nombreuses dans les mines. Afin de les limiter, la loi de 1810 impose de faire des plans de tous les travaux miniers et de les communiquer à l'administration des mines. Le service des mines tenait à jours les plans de tous les travaux souterrains. Malgré cela, de nombreux anciens travaux miniers n'étaient pas répertoriés.



Dans c'cas, y crie comme un tabazut et ça réveille tout l'monde. Maman elle dit qu'c'est sa jambe qui lui manque. Grand-mère elle croit plutôt qu'c'est ses collègues morts qui lui manquent. Mais Claudine, elle, elle pense qu'c'est à cause de quand on l'a opéré.

Elle m'a raconté qu'des fois on a tellement mal dans la vie, que même si la douleur elle est passée, son souvenir y vous bousille encore des années après. P'tete que j'pourrais lui donner ma pièce pour qu'y trouve un moyen d'se réparer le p'tit père...


Mais dans c'cas, au revoir l'École des mines et bonjour le calcif... Va falloir s'décider Julot... Y t'aurait dit quoi Jeannot ?


Mais pourquoi j'ai fait ça ?!! Ah si au moins Jeannot avait été là, y m'aurait dit d'la garder cette pièce. Mon bon cœur, mon bon cœur, ben y faut pas en avoir du cœur, c'est moi qui l'dit.

La pièce il l'a bue le père, toute entière au café, et même qu'y lui a pas fallu longtemps. Et depuis y crie encore plus fort la nuit. Enfin, j'crois.


J'aurais du écouter le Toine, mais des fois y m'embrouille tellement avec ses mots qu'y m'fatigue. D'ailleurs, j'crois pas que j'dois lui dire qu'j'ai fait un truc pareil au Toine, y va m'trouver abruti. T'façon j'en suis un d'abruti, l'école c'est pas pour moi.

J'vais continuer à travailler au fond, j'vais devenir piqueur, comme les vieux. Ça gagne quand même pas mal piqueur, faut juste faire gaffe au grisou, avoir un peu d'chance quoi. J'savais pas qu'les rêves c'était comme le charbon, bons qu'à mettre au feu...

Jules Garnier


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Pour mes 15 ans aujourd'hui j'ai reçu un sacré cadeau : j'viens d'sortir d'l'École des mines ! Quand j'pense que c'est grâce à c'te fichue pièce. Elle m'en a posé des questions c'te pièce. J'ai fini par la faire à pile ou face : pile j'la donne, face j'la garde.

Face et me voilà dans mon beau costume prêt à rendre visite au Toine, comme quand j'étais gosse. J'suis pas ingénieur mais les maîtres ont dit qu'j'ai des capacités.


J'ai toujours dit que c'te pièce c'était mon trésor mais j'crois qu'c'est Claudine qu'avait raison, c'te pièce c'était un signe du Bon Dieu. Elle m'a permis de m'sortir du trou, 'fin... en langage d'école on dirait plutôt « de m'élever dans la société ».

J'en ai eu d'la chance, plutôt deux fois qu'une. Pa'ce que sans le Toine, pièce ou pas, l'école j'pouvais toujours courir. 'fin bon faut encore que j'trime. À la compagnie ils veulent que j'devienne contremaître et peut-être plus.

Alors bon, on va pas lâcher, puis faut montrer l'exemple aux n'veux, parce qu'elle a pas chômé non plus, Claudine.

Jules Garnier


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